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AVOCAT

Bon a savoir

29 Janvier 2016

L'autorité de la chose jugée

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Présentation des faits 1

Monsieur M. est chirurgien et est l'inventeur d'un appareil de liposuccion, pour lequel il a obtenu un brevet belge et un brevet européen, couvrant différents pays dont la Belgique.

L’idée de l’invention est reprise dans les brevets.

L'appareil est commercialisé en Europe par la société belge Euromi, sous la marque Lipomatic.

Les sociétés N. commercialisent du matériel médical. En 2003, elles ont commercialisé un appareil de liposuccion, dénommé Vacuson, fonctionnant selon le principe décrit dans les brevets.

Monsieur M. a obtenu du juge des saisies de Gand l'autorisation de pratiquer une saisie-description de l'appareil entre les mains du distributeur des sociétés N. en Belgique.

Il a par la suite introduit à Gand une procédure au fond en contrefaçon, qui a été renvoyée devant le Tribunal de première instance de Bruxelles. Les sociétés N. ont formé une demande reconventionnelle en annulation du brevet européen. Le tribunal a déclaré le brevet valable mais, a constaté l'absence de contrefaçon.

Monsieur M. a alors interjeté appel dudit jugement.

Par arrêt du 15 octobre 2009, la Cour d'appel de Bruxelles a réformé le jugement : elle a validé le brevet européen, mais a déclaré la contrefaçon établie. Les sociétés N. ont été condamnées à cesser toute contrefaçon, sous peine d'astreinte, et à verser des dommages-intérêts. Le pourvoi formé par elles devant la Cour de cassation contre cet arrêt a été rejeté.

En 2012, Monsieur M. a constaté que l'appareil était toujours offert en vente en Belgique. Il a fait signifier un commandement de payer les astreintes. Par jugement du 15 mai 2013, le juge des saisies de Bruxelles a fixé le montant à 515.000 EUR. Par arrêt du 30 janvier 2014, la Cour d'appel de Bruxelles a porté le montant à 965.000 EUR.

Monsieur M. a également introduit une demande en contrefaçon en Allemagne. Les sociétés N. ont formulé une demande reconventionnelle en annulation devant le Tribunal fédéral des brevets, qui, par décision du 8 avril 2014, a annulé la partie allemande du brevet européen pour ajout de matière nouvelle au brevet. Un recours est actuellement pendant contre cette décision.

Le 24 juin 2014, les sociétés N. ont assigné Monsieur M. devant le Tribunal de commerce du Hainaut, en vue à nouveau d'obtenir l'annulation de la partie belge du brevet européen. Elles fondent leur demande sur l’ajout de matière nouvelle.

 

Décision du Tribunal de commerce du Hainaut

Sur l'autorité de la chose jugée

Le Tribunal de commerce du Hainaut rappelle tout d’abord que l’autorité de la chose jugée touche à la recevabilité de la demande. Or, la recevabilité de la demande s’apprécie lors de son introduction. C’est donc à la date d’introduction de la demande qu’il convient de se placer pour déterminer la loi applicable à l’appréciation de l’autorité de la chose jugée.

En l’espèce, la demande a été formée avant l’entrée en vigueur de la loi du 19 octobre 2015. C’est donc la version de l’article 23 du Code judiciaire antérieure au 1er novembre 2015 qui doit être appliquée.

Le Tribunal de commerce rappelle ensuite le contenu de l’ancienne version de l’article 23 : « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet de la décision. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ».

En d'autres termes, pour que l'exception de chose jugée soit admise, il ne suffisait pas que l'objet de la nouvelle demande soit identique à celui de la demande antérieure, il fallait en outre que la règle de droit dont le demandeur sollicite l'application soit la même que celle appliquée par le juge aux faits dans la décision précédente.

Les sociétés N. restent donc fondées à invoquer la nullité du brevet, pour autant que cette demande soit fondée sur une règle juridique différente de celles évoquées devant la Cour d’appel de Bruxelles. La modification des faits de la cause autorise également l’introduction d’une nouvelle demande.

En l’espèce, la question de la matière ajoutée n’a pas été invoquée devant la Cour d’appel de Bruxelles et constitue un fondement juridique distinct de la demande d’annulation du brevet. Elle suppose en effet l’usage d’une règle de droit dont l’application aux faits de la Cause n’a pas été envisagée par la Cour d’appel de Bruxelles.

Sur la recevabilité de la demande en annulation du brevet

Monsieur M. soutient que cette demande est irrecevable, parce que le brevet belge a terminé de sortir ses effets en 2002.

Le Tribunal de commerce considère dès lors que la demande d’annulation de ce brevet est dépourvue d’intérêt né et actuel et déclare la demande irrecevable.

Sur le fond

Le seul fondement qui puisse encore être examiné est la problématique de l’ajout de matière nouvelle.

Toutefois, le Tribunal estime que l’argumentation développée par les sociétés N. n’est pas inconsistante, au point qu’elles auraient dû réaliser que la présente demande était nécessairement vouée à l’échec.

Il découle de ce qui précède que le seul motif d’annulation qui pouvait encore être examiné est rejeté.

Par conséquent, le Tribunal de commerce du Hainaut déclare la demande d’annulation du brevet non fondée.

 

Bon à savoir

Les principes à appliquer dans la présente cause sont repris à l'article 23 du Code judiciaire. Cette disposition a été modifiée par la loi du 19 octobre 2015, entrée en vigueur le 1er  novembre 2015.

L'ancienne version disposait que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet de la décision. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

Pour délimiter l'autorité de la chose jugée, il convenait de comparer ce qui avait été antérieurement jugé sur un point litigieux et ce qui était actuellement soumis au juge, la comparaison portant tant sur les faits que sur la règle de droit appliquée à ceux-ci 2.

Sous l'angle de l'autorité de la chose jugée, la cause s'entendait de manière étroite comme des faits juridiquement qualifiés par le juge 3.

La version applicable après le 1er novembre 2015 est rédigée comme suit : « Il faut que la chose demandée soit la même ; [que la demande repose sur la même cause, quel que soit le fondement juridique invoqué ;] que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ».

Dans sa version actuelle, l'article 23 fait ainsi obstacle à l'introduction d'une demande nouvelle fondée sur les mêmes faits, même si la qualification juridique invoquée par le demandeur diffère de celle retenue par le juge 4.

_______________

1. Com. Hainaut (2e ch., div. Mons), 24 décembre 2015, J.T., 2016/4, n° 6632, pp. 68-71.

2. G. DE LEVAL, « Le jugement », in Droit judiciaire, t. 2, Manuel de procédure civile, Bruxelles, Larcier, 2015, no 755, p. 708.

3. J.-F. VAN DROOGHENBROECK et F. BALOT, « L'autorité de la chose jugée happée par la concentration du litige », in L'effet de la décision de justice, C.U.P., vol. 102, Liège, Anthemis, 2008, no 19, p. 164.

4. G. DE LEVAL, J. VAN COMPERNOLLE et F. GEORGES, « Analyse de la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile et portant des dispositions diverses en matière de justice », J.T., 2015, p. 799 ; D. SCHEERS et P. THIRIAR, Pot-Pourri I - Gerechelijk recht, Anvers, Intersentia, 2015, p. 4.