La reconnaissance en Belgique d'un mariage polygame célébré à l'étranger
La reconnaissance en Belgique d'un mariage polygame célébré à l'étranger
La monogamie est un principe fondamental du droit belge. L'article 147 du Code civil dispose, en effet, qu'on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier tandis que l'article 391 du Code pénal érige en infraction pénale le fait pour une personne, qui est engagée dans les liens du mariage, de contracter un second mariage avant la dissolution du premier 1.
L'interdiction du mariage polygame ne se retrouve toutefois pas dans toutes les législations étrangères. En conséquence, il arrive fréquemment que la question de la reconnaissance en Belgique d'un mariage polygame célébré à l'étranger soit amenée à se poser, notamment en ce qui concerne l'octroi de droits sociaux tels qu'une pension de survie.
A cet égard, l'article 27 du Code de droit international privé prévoit qu'un acte de mariage célébré à l'étranger est reconnu de plein droit en Belgique si sa validité est établie conformément au droit applicable en vertu du Code de droit international public 2, en tenant spécialement compte des articles 18 et 21 dudit Code.
Pour rappel, le Code de droit international privé dispose que les conditions de fond du mariage sont régies par la loi nationale de chacun des époux au moment de la célébration du mariage. Les articles 18 et 21 interdisent toutefois de procéder à la reconnaissance d'un acte accompli en fraude à la loi ou contraire à l'ordre public 3. Le législateur a, en effet, voulu éviter que des parties n'accomplissent à l'étranger des actes que n'aurait pas permis la loi belge 4.
La Cour de cassation a toutefois considéré que « l'ordre public international belge ne s'oppose pas, en principe, à la reconnaissance en Belgique des effets d'un mariage validement contracté à l'étranger conformément à leur loi nationale par des conjoints dont l'un était, au moment de ce mariage, déjà engagé dans les liens d'un mariage non encore dissous célébré à l'étranger dans les mêmes circonstances avec une personne dont la loi nationale admet la polygamie » 5.
Cet arrêt s'explique par le fait que l'exception d'ordre public, qui permet de refuser la reconnaissance d'un mariage polygame célébré à l'étranger, doit s'apprécier en tenant compte, notamment, de l'intensité du rattachement de la situation avec l'ordre juridique belge et de la gravité de l'effet que produirait l'application de ce droit étranger 6.
Il en résulte que la plupart des juridictions ont tendance à refuser la reconnaissance d'un mariage polygame lorsque la première épouse est belge ou a la nationalité d'un pays dont le droit n'admet pas la polygamie 7 tandis qu'elles l'admettent lorsque les deux épouses ont la nationalité d'un pays dont le droit admet la polygamie 8. L'exception d'ordre public ne jouerait donc que dans le cas où la première épouse est belge à la date du second mariage.
La Cour de cassation, dans son arrêt du 14 février 2011, a semblé consacrer cette règle en jugeant : « que doit être cassé pour défaut de motivation, l'arrêt qui déclare ne pas pouvoir reconnaître la validité d'un mariage conclu au Maroc avant la dissolution du lien matrimonial entre l'époux et sa première épouse, en s'abstenant de préciser la nationalité de la seconde épouse, qui demande à bénéficier d'une pension d'épouse séparée » 9.
Certaines juridictions du fond résistent cependant à cette jurisprudence de la Cour de cassation. La Cour du travail de Bruxelles a notamment jugé qu'en matière de pension de survie, le principe d'égalité de traitement s'oppose à ce que deux épouses marocaines dont la situation et la légitimité à percevoir une pension de survie sont différentes, soient traitées de la même manière pour le partage de la pension de survie. « Un partage égalitaire conduirait en effet à une application incohérente des modes de constitution des droits en matière de pension de survie et heurterait l'ordre public international belge » 10.
La Cour du travail de Bruxelles a fondé sa décision sur le fait que la proximité de la situation avec la Belgique ne peut s'apprécier uniquement en fonction du critère de la nationalité, l'analyse de l'intensité du rattachement de la situation avec la Belgique devant, en effet, également s'effectuer au regard de la durée de la résidence en Belgique et des intentions des parties et ce, afin d'éviter que sous l'analyse de la proximité se cache « une préférence nationale » 11. Cela serait d'autant plus vrai en matière de sécurité sociale où la nationalité joue un rôle secondaire par rapport à celui de la territorialité et notamment en ce qui concerne la pension de survie qui présuppose uniquement que le conjoint prédécédé ait exercé une activité professionnelle sur le territoire belge 12.
Par son arrêt du 8 janvier 2014, la Cour du travail de Bruxelles a donc pris position en faveur d'une mise en œuvre plus fréquente de l'exception d'ordre public, puisqu'une résidence de longue durée sur le territoire belge permettrait de conclure à un rattachement de la situation avec l'ordre juridique belge et, dès lors, permettrait au juge de refuser la reconnaissance d'un mariage polygame célébré à l'étranger.
Cet arrêt a toutefois fait l'objet d'un pourvoi en cassation. Il sera dès lors intéressant de voir si la Cour de cassation maintiendra sa jurisprudence du 18 mars 2013 ou si elle suivra le raisonnement défendu par la Cour du travail de Bruxelles.
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1. Article 147 du Code civil et 391 du Code pénal.
2. Article 27 du Code de droit international privé.
3. J-L. Van Boxstael, Code DIP. Premiers commentaires, De Boeck, Bruxellles, 2010, p. 78.
4. P. Wautelet, « Le Code de droit international privé », Chron. not. Liège, 24 mars 2005, vol. XLI, p. 103.
5. Cass., 18 mars 2013, Rev. trim. dr. fam., 2013, p. 923.
6. Article 21 du Code de droit international public.
7. Cass., 3 décembre 2007, 3 décembre 2007, J.T.T., 2008/3, p. 37.
8. C. trav. Mons, 25 juin 2009, R.T.D.F., 2010, p. 52.
9. Cass., 14 février 2011, R.T.D.F., 2011/3, p. 628.
10. C. trav. Bruxelles , 8 janvier 2014, R.T.D.F., 2014/2, p. 350.
11. « Mariage polygamique : les juges du fond se « rebellent », note sous C. trav. 8 janvier 2014, R.D.T.F., 2014/2, p. 359.
12. Ibidem.